Nouvelle-France, Canada, Québec : parcours lexicographique du Grand Siècle au siècle des philosophes.
Jean Pruvost (pp. 161-198)
Douce France, cher pays de mon enfance…
Dès le commencement de la lexicographie monolingue, trois dictionnaires ont été publiés. D’abord, le Dictionnaire françois en 1680 de Richelet. Toutefois, on n’y retrouvait toujours pas de référence à l’Amérique du Nord.
Puis, le Diction(n)aire universel en 1690 de Furetière. Celui-ci mentionnait le nouveau-Monde, l’Amérique et le Canada. Dans l’article sous le mot « nouveau », on trouvait « Le Nouveau Monde est l’Amérique… . » Dans l’article du mot « Amérique », « sauvage » était introduit dans la définition : « Presque toute l’Amérique s’est trouvée peuplée de sauvages. La plus-part des sauvages sont anthropophages (cannibales). Les sauvages sont rudes, et sont velus, couverts de poils.» C’était à « colonie » que l’on retrouvait le mot « Canada » : « Les François ont envoyé des colonies en Canada. » On y trouvait aussi l’exemple suivant : « Québec, une colonie de François en l’Amérique. » Furetière a aussi fait place aux territoires de la Nouvelle-France où il citait le « fleuve » Saint-Laurent qui était défini tel un grand fleuve qui n’était pas navigable à cause des chutes qui nuisaient à la navigation.
Enfin, dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie françoise de 1694, on faisait référence au Canada sous les entrées « capillaires de Canada », « habitation », « raquette » et « provigner ». Dans cette première édition, on y trouvait la première attestation du mot « Canada » sous l’article du mot « Capillaire » : « Les bons capillaires viennent de Montpellier, de Canada. » La capillaire est une fougère fine comme des cheveux, essentielle dans la confection des remèdes pectoraux prescrit à ceux qui prenaient le froid. On découvrait alors le Canada, comme un grand pays enneigé une partie de l’année. Dans ce même dictionnaire, à l’article consacré au castor, le lecteur du XVIIe découvrait une nouvelle référence pour l’Amérique du Nord francophone que l’on nommait « nouvelle-France. » Le « n » minuscule attire certainement l’attention du lecteur d’aujourd’hui.
Puis, c’est en 1732, dans le Dictionnaire universel françois et latin ou Dictionnaire de Trévoux qu’est apparu le mot « Québec » dans la définition « habitations ».
Perception du mot « France » et du mot « sauvage »
L’objectif de Maurice De La Porte, dans son dictionnaire d’épithètes françoises en 1571, était d’offrir aux poètes de l’époque, des qualificatifs à utiliser dans leur littérature. Dans son dictionnaire, on y retrouvait de nombreux adjectifs qui décrivaient les Français de la « douce » France de « valeureux, guerriers et généreux» pour n’en nommer que quelques uns. À l’opposé, les « sauvages » étaient plutôt qualifiés entre autres de « cruels de barbares et d’inhumains ».
La latinisation
Dans le Dictionnaire universel françois et latin de Trévoux, en 1732, les jésuites lexicographes y ont ajouté des traductions latines (ex. Iroquois. Nom de peuple Irocus, iroquius). On y trouvait aussi « Québecum », ou « Kebecum », la forme latine de Québec. Plusieurs entrées dans ce dictionnaire ont fait une plus grande place à la Nouvelle-France.
Les encyclopédies
Dès sa parution, au XVIIIe siècle, L’encyclopédie de Diderot et D’Alembert, a eu un impact international. À l’entrée lexicographique « canada ou NOUVELLE FRANCE », l’Amérique y était citée avec davantage d’informations historiques, de descriptions géographiques et climatiques. Contrairement à la définition de « sauvages » qu’en faisait Furetière dans son diction(n)aire universel où il les définissait comme des « hommes errants, sans Police » et Maurice De La Porte qui leur attribuait des épithètes tels « cruels, barbares et indomptables » pour ne nommer que ceux-là, cette image négative s’est inversée dans l’encyclopédie. Plusieurs clichés au sujet des « sauvages » sont enfin disparus. En s’intéressant davantage à la société et au climat froid de l’Amérique, les encyclopédistes ont omis de s’intéresser à une triste réalité et ils ont négligé le fait que le pays français devenait anglais en tant qu’entité politique.
Avant l’écriture des encyclopédies, les encyclopédistes se sont documentés à partir de différentes rubriques : les considérations géographiques, les noms de peuples et peuplades, les « sauvages », la nature, le climat, la religion, les traditions, les animaux, les plantes, les produits alimentaires, les produits médicaux, le commerce, notamment celui des fourrures et les transports. Ainsi, dans ces rubriques, on associait la « nouvelle France » à un sujet de questionnement que ce soit par son climat hivernal ou par les « sauvages » qui y habitaient.
Ensuite, le diction(n)aire critique de la langue française de l’abbé Féraud est paru en 1787. À ce moment-là, Féraud s’est interrogé quant à la manière d’introduire syntaxiquement le Canada en tant que lieu d’origine. Il a observé l’usage fait par les lexicographes qui employaient « les Sauvages de Canada » et optaient en faveur de la préposition « de » plutôt que « du » devant Canada. Quant à lui, Féraud, a choisi la préposition « du » lorsqu’il a mentionné « Sauvages du Canada ». Cet usage est toujours celui que nous utilisons aujourd’hui : [le] Canada. Je viens [de le] Canada = Je viens [du] Canada.
Les dictionnaires des XVIIe et XVIIIe siècles et L’encyclopédie de Diderot et D’Alembert, mettaient tous l’emphase sur des questions de climat et de géographie. C’est dans le Dictionnaire de la conversation, à l’usage des dames et des jeunes personnes, complément nécessaire de toute bonne éducation et dans le Dictionnaire de la conversation et de la lecture tous deux parus en 1841, que le discours concernant la Nouvelle-France devient politique. Dans cette première moitié du XIXe siècle, la nostalgie d’un lien de parenté s’est installée entre les francophones de l’Amérique du Nord, ces « Paysans français du Canada », et leurs cousins de la France.
lundi 21 septembre 2009
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